SAVOIR FAIRE ET CREATION, PAR ARNAUD MARION

Associer le Savoir-Faire et la Création

Retrouver l'ADN d'une marque ou d'une entreprise pour mieux la valoriser et la développer. Ou comment, création et innovation associées au savoir-faire deviennent structurantes d'une stratégie, et les stratèges d'entreprise des créateurs de tendances.

Par Arnaud MARION

Président de Trans Consult International (gestion de crises, restructurations, négociations et stratégie), Directeur Artistique des Pianos PLEYEL, Membre de la Commission Nationale des Entreprises du Patrimoine Vivant et co-fondateur de Luxury Invest (holding d'investissement spécialisé dans les métiers d'art, le savoir-faire et le luxe).

 

 

 

A l'heure des cycles économiques, les investisseurs (qui, sur le plan mondial, regorgent de liquidités à un niveau jamais atteint) se posent légitimement la question de savoir ce qui peut conduire une société sur la voie du succès. Le monde change de façon exponentielle. Les Trente Glorieuses ont vécu et cela fait maintenant … trente ans qu'elles sont bien terminées. Deux cycles identiques en durée, le second ne ressemblant décidemment pas au premier.

Réduction des coûts (« cost killing »), redynamisation commerciale, management des équipes, diversification, développement, recentrage, analyse des coûts de revient, (re-)positionnement des produits, font partie des recettes généralement appliquées, souvent avec succès d'ailleurs, par les dirigeants chargés des restructurations ou du développement des entreprises. Le management et le charisme d'une équipe dirigeante soutenue par son actionnaire font le reste.

Mais ce n'est pas tout. Le produit se remet au cœur de l'entreprise, avec comme gage de réussite, le retour à des fondamentaux. Et des mots magiques, presque obsolètes, apparaissent alors : « savoir-faire »,  « création »,  « innovation ». Tous ces mots inlassablement répétés sans qu'on en connaisse le sens concret tout en en devinant l'intérêt ; toute cette réalité souvent difficile des entrepreneurs qui en connaissent la finalité mais ont peur de vanter ces concepts, font face à l'incompréhension de leur banquier, et se heurtent souvent à des actionnaires soucieux parfois de ne pas investir tant que le retour (ou la voie de) à la rentabilité n'est pas avérée. Or, la rentabilité dépend souvent d'un plan de développement, et de moyens financiers à consacrer au développement et à une stratégie basée avant tout sur de la création de valeur autour de la production même de l'entreprise.

 

Le retour du savoir-faire

Qu'il soit industriel, artisanal, ancestral ou technologique, le savoir-faire est au cœur même de la richesse d'une entreprise, car il constitue son patrimoine économique qui s'enrichira au fil des années d'expérience de l'entreprise. Le savoir-faire a cette connotation un peu mystérieuse, parfois vieillotte du « tournemain » qui se transmet de génération en génération par une certaine tradition orale, et qui s'acquiert par l'expérience.

Mais le savoir-faire n'a jamais été aussi actuel, car c'est bien lui qui est au cœur des réussites dans le domaine du luxe auquel on pense assez facilement, mais aussi dans le domaine de l'industrie, dans l'aéronautique, le nucléaire …Quand elle doit se développer, se restructurer, se repositionner, l'entreprise doit donc se recentrer sur ses savoir-faire, elle doit aussi les développer et investir sur cette notion, car sans savoir-faire, il ne peut y avoir de compétition, qui de nos jours est totalement mondialisée. Le savoir-faire est donc une notion moderne et actuelle car il est au cœur de l'activité et de la création de valeur ajoutée, et donc facteur d'un retour à la rentabilité.

C'est d'ailleurs dans ce sens qu'a été développé le label « EPV » (Entreprise du Patrimoine Vivant) accordé par le Ministère de l'Economie et des Finances : valoriser le savoir-faire rare, prendre en compte la patrimoine économique tout autant que la notoriété (qui peut être locale, régionale, nationale ou internationale) afin de décerner le même label à des petites entreprises très qualifiées (l'écailliste Bonnet, le bronzier Charles,…) aussi bien qu'à des géants d'un secteur comme Hermès ou Christofle ou des icônes comme le restaurant Taillevent. Ce label doit maintenant être diffusé, en France et à l'étranger, auprès des différentes institutions et auprès du grand public, car il doit devenir une estampille de la création et du savoir-faire français, un moyen de sélection susceptible de transcender le dépassé « made in France ».

 

La déclinaison du savoir-faire

Si ce savoir-faire se travaille, se développe, se garde, se sauvegarde, se pérennise, il doit aussi se décliner sous d'autres formes ou bien encore ailleurs. La délocalisation est dépassée. Le monde a changé, les zones de développement aussi, avec l'Asie qui représente la moitié du monde et une grosse partie de la production à bas prix, l'Europe et l'Amérique qui s'affrontent dans une compétition monétaire déstabilisatrice, nécessitant non pas de délocalisations, mais bien des relocalisations liées aux débouchés des entreprises.

Les industriels ont bien compris qu'ils devraient maintenant agir sur trois continents simultanément : l'Europe, l'Asie et l'Amérique, pour amoindrir les impacts monétaires (en six ans le cours USD/EURO est passé de 0,85 à 1,60) avec des coûts de production locaux, pour faire participer les économies locales des contrats transfrontaliers, mais aussi pour prendre en compte les réalités de notre planète, où les arbitrages (entre un coût inférieur et un coût supérieur, mais aussi entre des savoir-faire disponibles et des savoir-faire rares) sont inhérents à une économie de marché mondialisée.

La Thaïlande, la Chine, l'Inde, sont des bassins formidables de main d'œuvre dont l'intérêt n'est pas tant le bas coût que l'adresse, la minutie ou la maîtrise de savoir-faire. Ces pays ont une grande tradition en la matière depuis des temps ancestraux et la provenance d'articles en porcelaine ou en laque de ces pays étaient un gage de qualité. La relocalisation, dans le cas des métiers du luxe ou de l'artisanat d'art, permettra donc de sauvegarder ces savoir-faire grâce à une main d'œuvre qualifiée, abondante et minutieuse, mais elle permettra aussi de décliner ces savoir-faire avec d'autres matériaux ou d'autres applications. C'est l'exemple de Jean-François Lessage (le fils du brodeur François Lessage) qui est parti en Inde pour décliner son savoir-faire avec succès et brio en produisant tissus, tapis et broderies avec les techniques du père.

Quand la maison de haute couture Chanel crée le holding Paraffection pour racheter sept métiers d'art qu'elle utilise dans ses créations (le brodeur François Lessage, le bottier Raymond Massaro, le parurier Desrues, le modiste Michel, l'orfèvre Goosens, l'atelier de création de fleurs artificielles Guillet ou le plumassier Lemarié), elle n'a pas pour unique but de sauver (au sens de la pitié ou de la compassion), elle veut pérenniser des savoir-faire extraordinaire, les intégrer, leur faire bénéficier de leur propre direction artistique pour mieux leur permettre de travailler sur les créations de haute couture dessinées par Karl Lagerfeld tout en leur laissant cette ouverture sur l'extérieur pour que ces maisons continuent à travailler avec d'autres grandes maisons.

Et cette pérennisation c'est aussi une transformation de l'histoire de ces maisons en un véritable patrimoine économique, car 80 ans d'archives de Massaro ou Lessage, c'est 80 ans d'histoire de la mode. Finalement ces maisons sont anachroniques, mais dans notre monde actuel, la recherche de l'exception conduit à faire de l'anachronisme un luxe ultime.

 

Créativité et création

Le cœur du sujet est bien là avec cette suprématie française dans les savoirs-faires, les marques, la création, l'innovation. La France n'est pas la seule dans chacun de ses domaines, mais elle est arrivée à être moteur sur ces quatre notions simultanées. Il faut savoir associer stratégie et création et capitaliser sur les fondamentaux d'une entreprise, sur son patrimoine économique voire sur son contenu culturel : tant de choses enviées par les champions de la fabrication industrielle (comme les chinois par exemple) souvent peu doués pour la création ou la créativité (domaine dans lequel les Japonais excellent depuis 40 ans alors qu'ils étaient auparavant de simples copistes).

Une entreprise et une marque ne peuvent qu'exister par rapport aux produits fabriqués, mais la croissance, le devenir et le développement ne peuvent que se nourrir de création et d'innovation : c'est ce qui crée la valeur, car le savoir-faire sans la créativité a peu de valeur. Le luxe ne s'y est d'ailleurs pas trompé avec son mouvement de recul par rapport au « brandstretching » (cette extension à l'extrême des marques sans fil directeur), et le développement de certaines marques sur des produits mythiques : quand Chanel trouve avec la « J12 » un successeur dans la créativité au mythique « N°5 »….

Il faut effectivement cesser de croire que la maîtrise d'un savoir-faire donne une légitimité à la création issue de celui qui en a la maitrise, et c'est bien là le problème de nos industries traditionnelles ou innovantes : la création est moteur dans le développement des entreprises, car le savoir-faire ne suffit plus en raison du changement des exigences et des comportements économiques des individus. Un mouvement de fond a lieu sur ce sujet dans la décoration, le luxe, le design, qui ont su tirer les leçons des réussites industrielles de l'aéronautique française, du nucléaire, du ferroviaire, bref, de tout ce qui s'exporte.

Et c'est d'ailleurs certainement l'un des problèmes les plus importants de ces 40.000 entreprises dites « métiers d'art » qui si elles ont des savoir-faire indéniables n'en sont pas pour autant des créateurs de talents pour certaines d'entre elles. Ce n'est pas insulte de dire cela, mais la création est un vrai métier, à part entière dissocié de la maîtrise d'un savoir-faire. Penser ainsi, c'est peut-être trouver une des voies de sortie pour bon nombre de ces entreprises qui vivotent parfois avec difficulté et qui n'ont comme seule réponse que la compassion, les aides ou des mesures homéopathiques souvent inefficaces (à l'exception du crédit d'impôts création auquel donne droit le label EPV). La création et l'innovation associées au savoir-faire deviennent alors structurantes d'une stratégie.

 

Vers une recherche de « l'ADN » des marques et des entreprises

Finalement une société ne peut se développer que par rapport à son histoire, car son savoir-faire est un élément de son patrimoine économique. Avoir des produits en phase avec une entreprise, son positionnement et sa culture, est une nécessité pour une stratégie cohérente, car les entreprises qui réussissent construisent leur histoire sans hasard et dans une continuité : c'est ce que l'on peut appeler « l'ADN » d'une marque ou d'une entreprise.

En recherchant cet ADN, c'est-à-dire ce qui est constitutif de son histoire et de sa fondation, on met au jour son contenu culturel constitutif de ce qui sera son histoire et de ce qui est déjà son patrimoine économique. Quand on développe une stratégie d'entreprise, il faut penser aux produits que celle-ci vend et aux marchés sur lesquels ils sont écoulés : c'est la cohérence d'ensemble qui est constitutive du succès. Et la création qui se doit d'être un ciment entre le passé et le présent, l'histoire et le futur. C'est d'ailleurs la définition même de la modernité : savoir s'identifier à la pensée de son temps. Quand le Bon Marché crée son site internet d'un nouveau genre, il ne l'appelle pas autrement que www.treeslbm.com, avec « trees » qui veut dire « racines » comme pour puiser dans la quintessence de la marque pour développer un nouveau concept (de fait un site marchand, mais aussi un carnet d'adresse et des services haut de gamme).

Les années à venir vont se caractériser par un retour aux valeurs du savoir-faire, car elles seront considérées comme des valeurs sûres, tout autant d'entreprises que de marchés. La France a certainement cette capacité de maîtriser des savoir-faire, de conjuguer les produits sur le mode de la modernité. Mais le monde change et va changer encore, car en Orient les modes de pensée évoluent, les savoir-faire existent, aussi bien ancestraux que de haute technologie.

Mais c'est aussi le centre de gravité du monde qui évolue. Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres du 15ème au 19ème siècle. Puis l'axe de la guerre froide USA-Russie-Europe pendant la deuxième partie du XXème siècle. Aujourd'hui la gravité s'est déplacée vers l'Asie (la moitié du monde est asiatique), non pas seulement quantitativement, mais bien qualitativement. L'exécution et la copie sont des business modèles actuels mais qui seront bien vite dépassés, car l'intégration de nouveautés en temps réel dans les process industriels y est tellement rapide. Les marques et produits occidentaux servent de référence, de show-off, de signe de reconnaissance, d'appartenance aussi au monde développé. Mais l'évolution évidente est la reconnaissance des asiatiques dans des produits locaux à forte valeur ajoutée et image, avec une créativité internationalement reconnue susceptible de séduire le monde occidental. Bienvenue aux marques asiatiques qui à leur tour envahiront nos corners, ce qui sera à l'origine de changements majeurs dans les business modèles des marques occidentales et la définition de leurs produits souvent faits « pour plaire aux asiatiques ».

Le stratège d'entreprise, après avoir été tour à tour un industriel, un commercial, un homme du marketing, un financier va devoir intégrer toutes ces notions pour devenir un créateur de tendances.

http://www.idf-tech.net/main.php5?action=accueil&art=921



30/05/2008
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